Chapitre 1
Le mazzeru et le molphar comme phénomènes dérivés du chamanisme.
Nous allons commencer notre étude comparative par un essai de définition du « mazzeru ». Qu’en est-il au juste de ce personnage mystérieux de la tradition orale corse? Un chasseur d’âmes ? Un meurtrier involontaire ? Un messager de la mort ? Un chaman ? Une résurgence d’une très ancienne tradition ? Ne soyons pas trop hâtif avec ces conclusions trop généralisantes. Tout n’est pas si simple comme cela peut apparaître au premier regard.
Le «mazzeru » est un homme ou une femme (la mazzera) qui a le don des rêves prémonitoires de la mort. Dans les plupart des cas, ces songes ont la forme de chasse. Le rêveur, en l’occurrence le mazzeru, se voit à l’affût d’un animal domestique ou sauvage. Le moment de l’abattre est le moment fatidique où se reconnaît la personne incarnée dans l’apparence animalière. Ainsi est-elle condamnée à mourir dans un délai proche variant de trois jours à un an mais toujours tombant sur un nombre impair de jours. Selon Roccu Multedo, il existe deux manières d’identification de la victime : par le regard, comme pendant un flash back ou par l’ouïe. Soit c’est le museau de la bête qui devient le visage de la connaissance du « chasseur »[1]onirique, soit c’est le cri ou le soupir de la proie blessée qui correspondent à la voix de son double humain.
Mais l’importance de cette révélation auditive ou visuelle est dans le fait qu’a su bien souligner la jeune et prometteuse chercheuse corse Vannina Lari : le mazzeru ne réalise vraiment se qui s’est passé dans son songe qu’une fois réveillé. Autrement dit, le mazzeru en tant que tel n’agit que dans ses rêves, tandis que leurs interprétions appartient au monde réel des vivants. Ainsi, nous pouvons relever les trois notions fondamentales du phénomène mazzerique : le monde des rêves en relation avec la mort, le double et la chasse sous tous ses aspects (le rapport de l’homme à l’animal, de l’animal à l’homme). Surtout, les deux premières de ces notions ont souvent servi comme des points d’appui pour faire le lien entre le mazzeru corse et les chamans des traditions différentes, mais la piste de molphars carpatiques n’était jamais encore exploitée dans cette direction.
Au début de XX° siècle, dans son roman Les chevaux de feu (le titre original les ombres des ancêtres oubliés) qui a servi de base pour le film de Paradjanov, Mykhaïlo Kotsioubynsky donne la définition assez exacte du molphar, bien qu’il s’agisse d’un personnage de la fiction littéraire : « A son sujet, les gens disaient qu’il était omniscient et tout puissant ; il commandait la grêle et était sorcier (dans la version originale : « molphar », le terme « sorcier » n’y serait pas tout à fait exact, selon les croyances goutsouliennes : le sorcier est inférieur au molphar, l’un n’agit que dans ses propres intérêts, tandis que l’autre assure une fonction sociale au sein de sa communauté[2]). Dans ses mains vigoureuses il détenait les forces célestes et terrestres, la mort et la vie, la santé des bêtes et des hommes, on le redoutait, mais on avait besoin de lui. »[3] Nous y retrouvons tout ce qui représente les molphars dans l’imaginaire populaires : les détenteurs des connaissances secrètes, celle de la magie comprise, les régulateurs du temps et les médecin-mans. En de mêmes termes nous aurions pu qualifier les chamans, il ne manquerait que leur faculté d’entrer en transe qui est comparable avec les rêves mazzeriques. Pourtant si l’écrivain ukrainien ne mentionne pas cette faculté, ce n’est pas une raison pour en conclure que ces « chamans » goutsouliens en sont dénués. Encore une fois les interviews avec le molphar Mékhailo Néchaiy nous serons d’un grand secours : parce qu’il nous explique que la transe pour lui comme pour tous ses « collègues » est une nécessité « professionnelle ».
La transe chamanique ou l’art d’extase.
Dans le livre de Jérôme Pietri et Jean-Victor Angelini Le chamanisme en Corse, nous trouvons l’explication suivante du chamanisme : « Le chamanisme est …largement fondé sur la capacité de circuler dans les plans surnaturels et d’entrer en contact avec le surhumain. En état de transe le chaman fait preuve d’incontestables dons de clairvoyance et de télépathie et guérit les malades ». Chez Roccu Multedo le chaman est présenté comme un technicien de l’extase[4] et le mazzeru comme celui qui partage cette technique : « Le culpadore (un des noms de mazzeri qui varient selon des régions) la pratique (la technique de l’extase). Celui de Figari compare le besoin de culpa (« mazzeriser ») à une batterie qui a besoin de se décharger pour se régénérer ensuite. « I culpadori, dit-il, colpani par eddi stessi » ( les « tueurs en esprit » chassent » pour leur besoin personnel) ; s’ils ne le font pas, ils se sentent mal. Cet état est confirmé par Mario Mercier quant au chaman Eskimo « qui, à l’exemple de chaman Sibérien, entreprend des « voyages » pour son plaisir ou pour se recharger en énergie » »[5].
En ce qui concerne les molphars leur représentant le plus âgé « officiel » Mékhailo Néchaiy avoue la chose suivante : « Une fois dans l’année j’entre dans une grotte pour les douze jours successifs, je me plie de la sorte que ma position imite celle de l’enfant dans le ventre maternel, je perds tout le contact avec la réalité, je débranche ma mémoire, ma respiration et je reste ainsi sans bouger sans manger et boire. Si quelqu’un avait décidé de vérifier mon pouls, il aurait pensé que je suis mort. Pour pouvoir le faire, j’ai dû m’entraîner durant des années. Pourquoi faut-il que je le fasse ? Parce que tout au long de l’année, les gens viennent me voir avec l’énergie négative de leurs malheurs. J’absorbe toutes ces ondes noires. Et pour m’en débarrasser, pour me purifier je m’enterre dans une grotte. Si quelqu’un sans entraînement avait voulu de me suivre, il n’en serait pas sortit vivant »[6].
A partir de ces exemples, il paraît que le pouvoir extatique est déterminant pour les mazzeri et les molphars tout comme pour les chamans: sans lui, ils ne peuvent pas fonctionner, c’est leur moteur vital. En fait la transe ou l’extase c’est aussi et surtout la technique pour établir un lien entre les mondes invisibles et le nôtre[7]. Et toutes les fonctions molphariques et mazzeriques se basent sur ce lien.
« Pour le mazzeru –écrit Roccu Multedo- être ravi en extase c’est, dans son sommeil cataleptique, se matérialiser en animal ou dans sa chasse nocturne faire corps à la fois avec le fusil et avec le gibier. »[8]
Tandis que le molphar, pendant sa transe, communique avec les esprits. Voilà ce que dit à ce propos Mékhailo Néchaiy dans son autre interview : « A ce moment, je passe dans une autre dimension et je communique avec un esprit qui me donne les directives à suivre. Je crois que cette créature avec laquelle j’ai un lien spirituel, est le martyre Ponteleimon, il était guérisseur, reconnu par l’église orthodoxe comme un saint ». Dans deux cas, il s’agit de recevoir un message de l’autre monde, à part que les rêves de mazzeri ont les conséquences directes dans le monde des vivants, en l’occurrence la mort, tandis que la transe molpharique n’est pas forcement un présage : cette communication avec le monde parallèle n’est pas toujours destinée à être révélée à quiconque, et souvent ne concerne que la personne du molphar qui est en fait guidé par l’au-delà. Mais la différence la plus flagrante entre l’extase mazzerique et celle de molphar, c’est le fait que les voyages onirique du mazzeru s’effectuent malgré lui : il ne fait rien pour les déclencher au moins volontairement (Roccu Multedo propose l’hypothèse de la consommation par les bergers corses du miel à l’aconit qui aurait pu entraîner « le comportement mazzerique »[9]). Quant au molphar pour atteindre l’état de transe, il doit maître en œuvre tout un rituel chamanique qui consiste soit à retenir la respiration et ses organes vitaux comme le savent faire les adeptes de yoga, soit c’est la musique de la guimbarde qui l’emporte dans l’autre monde (dont nous parlerons plus tard), soit son état second est le fruit de la consommation d’une plante hallucinogène comme par exemple Datura stramonium ou Cannabis sativa. Bien sûr, il n’y que les plus forts qui puissent effectuer cet exercice mental sans avoir recours aux drogues[10], le chamanisme mondial en connaît l’usage assez répandu. Ensuite les limites spatiotemporelles ne sont pas les mêmes chez les mazzeri et les molphars. Les rêves mazzeriques se produisent soit la nuit soit « à l’heure ténébreuse de midi » on les appellera, alors les cherzelli[11], leurs durées ne se distinguent pas trop de celles des rêves « ordinaires ». Le molphar réalise cette purification de son esprit, une fois par an pendant 12 jours commençant par le vendredi « noir » celui qui précède la Paque orthodoxe[12]. Il pratique dans l’année d’autres transes d’une courte durée mais leur portée est moindre et surtout il ne s’agit pas, alors, de se ressourcer en énergie mais seulement d’obtenir quelques informations.[13] Ensuite, pour « mazzeriser » le corps de mazzeru n’est pas obligé de quitter son lit contrairement au molphar pour lequel la grotte symbolise l’entrée dans le monde souterrain, celui de l’enfer, des morts[14]. Pourtant pour ses courtes transes le molphar tout comme les mazzeri n’est pas obligé de partir de chez lui. Malgré toutes ces différences entre l’expérience des rêves mazzeriques et celle de la transe molpharique, toutes les deux sont des mécanismes permettant de « côtoyer » la mort pour ensuite la nier : rien que le fait de pouvoir établir la communication entre deux mondes celui des morts et celui des vivants sert de preuve pour cette conception religieuse qui affirme que la mort est une autre vie. Les rêves mazzeriques et les transes molphariques sont de type cataleptique (Mario Mercier) ce qui signifie qu’elles engendrent un état physique qui est proche de celui d’un mort[15] . Ce qui nous permet de conclure qu’il s’agit de la double négation : celle de la mort par la mort.[16] Quoi qu’il arrive, les rêves du mazzeru et les transes du molphar peuvent être appelés le dédoublement : c’est leur double qui entre en contact avec ce qu’on appelle « le surnaturel ».[17]
La notion du double
Le rêve impose la notion du double qui figure d’ailleurs dans certaines définitions de ce phénomène de la tradition orale corse, comme par exemple celle-ci : « Les « mazzeri » : ce sont des êtres humains en relation avec l’autre monde. Ils tuent en rêve le double de la personne qui doit mourir et l’aident à franchir les Limites. » [18] En fait, le thème du double peut être élaboré, ici à trois niveaux, le double de mazzeri qui chasse et qui tue le double de la victime « choisi préalablement par le destin », dans le monde onirique qui est le double du monde réel. Les doubles du rêveur et du rêvé sont leurs esprits qui ont quitté leurs corps physiques pour leur voyage astral car selon les croyances populaires corses, l’être humain se compose de trois éléments distincts[19] : le corps physique u corpu à sali qui est mortel, l’âme immortelle l’anima celle qui quitte le corps, son habitat terrestre, à la mort de la personne pour aller vers la vie éternelle dans l’au-delà et entre les deux s’impose l’esprit u corpu à spiritu (le corps astral) , c’est une notion frontière, l’esprit peut garder l’apparence physique du corps ou en prendre une autre, on le décrit souvent comme transparent et impalpable. Selon Roccu Multedo : « Tout le mal viendrait de ce que ce corps astral s’évade pendant la nuit et c’est pourquoi il ne faut pas réveiller une personne ou un mazzeru trop brusquement. Son corps astral pourrait ne plus réintégrer son corps physique, ce qui provoquerait une sorte de crise cardiaque et la mort s’en suivrait »[20]. Vannina Lari rejoint Roccu Multedo sur cette confirmation en l’enrichissant par l’explication du «sort» de la victime du rêve mazzerique : « Le mazzeru est un être psychopompe, son rôle est de guider l’esprit vers le monde des morts afin de permettre ce franchissement vers l’autre côté. Le corps sans âme ne peut plus vivre, le passage définitif provoque la mort du corps physique ».[21] Il nous reste juste à préciser que si le mazzeru «le personnage principal» de son rêve de cette action dans le monde parallèle prend conscience de ce qui s’est passé la nuit, à son réveil, «le personnage secondaire », celui au rôle passif n’en a cure, et c’est au « chasseur onirique » de l’en informer déjà dans le monde vivant.
Quant au molphar c’est aussi son double, son esprit, qui quitte son corps physique pendant sa transe et la conception sur les trois « corps » de l’être humain y est tout à fait applicable. Tout comme le mazzeru, il est dangereux de le déranger pendant son voyage astral, il peut ne pas en revenir. C’est justement pour cette raison que le choix de la grotte est très important : elle doit se situer dans un endroit que seul, le molphar connaît, cette « conspiration » lui évite tout le dérangement, et lui facilite la coupure avec la réalité de ce monde. Mékhailo Néchaiy ne révèle pas ce qui se passe exactement pendant qu’il communique avec son esprit guide, il dit que cela lui est interdit, c’est un secret qu’il partage avec ses ancêtres-molphars. Mais nous pouvons en conclure, reprenant la chercheuse ukrainienne Gromitsa Berdnik, qu’apparemment pendant sa transe, contrairement à la majorité des expériences chamaniques de ce genre, le molphar y joue un rôle, plutôt passif, même si théoriquement, il aurait pu y affronter les obstacles divers comme, par exemple, combattre les esprit hostiles. Le molphar dans son état second est en quelque sorte en «stage de formation» qu’il répète une fois par an dans la période propice pour établir le contact avec l’esprit de son «moniteur» du monde des morts, et c’est ce dernier qui joue le rôle actif. Avant tout, ce n’est pas le molphar qui choisit son guide mais l’inverse, et c’est l’esprit qui agit sur le molphar et non pas le contraire, en lui transmettant l’information qu’il tient de «la plus haute substance » de ce que nous pourrions appeler Dieu. Par contre à sa sortie de l’extase, le molphar devient le maître du message reçu, c’est son pouvoir, et c’est lui qui choisit comment s’en servir dans la vie réelle. Ainsi la situation de la transe chamanique est l’inverse de celle du rêve mazzerique même si tous deux sont des êtres psychopompes. Mazzeru actif dans son rêve, à juste titre, il est ici le sacrificateur tandis que le molphar ne l’est pas. Cette chasse onirique tout en lui procurant l’état de l’extase ne le rend pas responsable de la mort qui va toucher sa proie dans le monde réel car avant d’accomplir sa tâche, il ignore son identité, c’est le Destin, le qual-cosa[22]…corse qui guide sa main. En effet, le rôle d’un mazzeru ou d’une mazzera ne consiste pas à tuer mais à accompagner l’âme dans l’autre monde [23] comme celui de Charon dans la mythologie grecque. Mais il est aussi proche du chasseur sauvage Odin, de la mythologie scandinave par sa thématique de la chasse et du double animalier. Quant aux molphars ils connaissent aussi la transformation de l’esprit en animal dans leurs pratiques occultes.
L’animal comme le double.
Quant on parle des mazzeri et de leurs rêves mazzeriques, nous ne pouvons pas passer outre leurs rapports d’ordre spirituel avec les Animaux [24] : « Si l’esprit peut garder la même forme que le corps physique, il peut également prendre corps dans celui d’un chien, chat, sanglier »[25]. Comme nous l’avons déjà dit « le scénario onirique » se déroule généralement de sorte que l’esprit du mazzeru chasseur garde son apparence physique habituel tandis que l’esprit de la victime se présente dans le corps d’un animal. Ce qui fait justement du mazzeru le sacrificateur et de sa victime le sacrifié ou la sacrifiée. Nous avons envie de citer ici la conclusion si juste de Vannina Lari : « Cela signifie qu’à chaque monde correspond un corps, une apparence donnée par une matérialisation d’un esprit dans un corps plus adapté à l’espace visité ».
Et bien que Dorothy Carrington affirme que les mazzeri ne sont pas considérés comme susceptibles de prendre l’apparence d’animaux, elle admet tout de même leur transformation possible, lors de leurs rêves, en chien et « en animaux qui en général chassent, mais ne sont pas chassés »[26]. Le chien, comme nous le savons, est le premier compagnon de l’homme surtout d’un chasseur, c’est son lien avec le monde animalier. C’est aussi un animal psychopompe, il suffit de penser au Cerbère de la mythologie grecque, ce chien monstrueux à trois têtes (50 suivant Hésiode, 100 chez Horace), d'un aspect colossal, avec le cou hérissé de serpents, qui était le gardien de l’entrée des enfers, posté près du Styx, ou à son équivalent égyptien Anubis au corps d’homme à tête du chacal (ou chien sauvage), dans les textes des pyramides, il est le guide qui conduit le défunt à travers le royaume des morts jusqu'à la salle des deux Maât, le présente au tribunal divin et veille au bon déroulement de la pesée du cœur (la psychostasie).
Dans son analyse de la relation des mazzeri avec les chiens, la chercheuse anglaise insiste sur son caractère ambiguë : « Tandis que certaines personnes m’ont assuré que les mazzeri tuent les chiens tout autant que les autres animaux, les chiens sont évidement leurs alliés lors de battues de sanglier. De plus, on croit que les mazzeri de Chera, où ils sont connus sous le nom de colpadori, se transforme en chien pour chasser les animaux en meutes et les déchire de leurs dents. A Levie, dans l’Alta Rocca, les mazzeri connus sous le nom de mazzatori prennent l’apparence de chiens, m’a-t-on dit, et sautent parfois sur la croupe des chevaux (un autre animal psychopompe) ou des mulets derrière les cavaliers. On ne pense pas, cependant, qu’ils chassent quand ils se sont ainsi transformés. Par contre, dans un gros village de la vallée de la Spelunca, on croit que les mazzeri se transforment en chiens pour servir de rabatteurs dans la chasse aux porcs qui errent dans les rues. »[27]
Les molphars, eux, peuvent se transformer en animaux selon leurs besoins mais le plus souvent ils s’incarnent dans le loup, ce cousin sauvage du chien, qui joue le rôle de leur double spirituel[28]. Là dessus, ils sont plus proches que « les mazzeri en chiens », des loups-garous de la tradition française. Nous trouvons les témoignages des ces transformations miraculeuses dans les anciennes chroniques de la Russie kiévienne et dans les anciennes légendes consacrées aux « volhvé-hmarogonételi » (le flamine – chasseur des orages) , le premier mot «volhv », désignant le flamine, le sage, l’équivalent du druide, se rapproche du mot « volk » (russe) ou « vovk » (ukrainien) signifiant loup, et, suivant cette logique, nous avons « le loup qui chasse les orages ». En effet, ces sages probablement les molphars du Moyen âge, avaient la réputation de se transformer en loups. Mais vu que c’était déjà l’époque du christianisme on les considérait comme les alliés du diable[29]. Autrement, dans la symbolique païenne le loup correspond au courage et à la force militaire, le loup Fenrir de la mythologie germanique en est un exemple parfait : il incarne par excellence la puissance guerrière. De la même façon, chez les ukrainiens, les cosaques dont la combativité est devenue légendaire avaient la réputation de pouvoir prendre l’apparence de loups. La meilleure illustration d’une telle mystification populaire, autour d’une personne historique, est la légende du Cosaque Ivan Sirko, excellent chef militaire et guerrier : « On racontait de lui qu’il était né avec des dents énormes et qu’il savait se transformer en loup. Les anciens sages ont prononcé sur lui des incantations, de sorte qu’il est devenu invulnérable : rien ne pouvait l’atteindre ni le feu, ni l’eau, ni le plomb, ni le fer »[30]. Le double canidé de Sirko rassurait ses compatriotes et faisait peur à ses ennemis. Son invincibilité est à rapprocher à celle des mazzeri qui selon la légende sont immortels et ne peuvent mourir que lors de leurs combats annuels dont nous parlerons plus tard. Cet «ottoman» (chef des cosaques) a vécu jusqu’à l’âge de 70 ans et est mort d’une mort naturelle, ce qui est une chose extrêmement rare pour un guerrier actif. Sa longue vie, et son nom Sirco (le gris donc le loup) inspiraient l’imagination populaire de sorte que la légende du cosaque-loup a perduré jusqu’à notre époque. Dans un des interviews, Mékhailo Néchaiy dit que les cosaques avaient des capacités molphariques et cite ses ancêtres parmi eux[31]. La transformation du molphar est volontaire : soit il se transforme lui-même pour ses propres besoins ou de ceux de sa communauté soit il peut transformer quelqu’un d’autre. Dans les légendes carpatiques le thème du loup–garou est très fréquent[32]. On y raconte que la capacité de s’incarner dans un corps d’animal peut être héréditaire ou acquise mais dans tous les cas, on peut reconnaître celui qui a ce don par la tonitruance de sa voix ou par l’absence totale de poils sur son corps. Pour se défendre contre une telle créature, il faut se servir d’une hache avec laquelle était tué un serpent[33].
Quant aux molphars, ils connaissent quelques unes des pratiques occultes de ces transformations que nous trouvons chez Gromovitsa Berdnik : « l’intégration du corps d’un loup peut se réaliser de façons suivantes : en jetant douze couteaux, par-dessus un seau à eau, qui doivent être dirigés vers la terre. Autrement ce manœuvre se fait du dos en direction du soleil. Une personne non initiée pouvait se transformer en loup si par hasard, elle avait marché sur un objet ensorcelé (nous pensons ici à la capacité de transmettre son don de voyance par le pied qui est connu en Corse). Mais les molphars les plus puissants gardent le secret d’un moyen plus fort et plus sûr pour pouvoir prendre l’apparence d’un loup, c’est la parole d’une mère »[34]
Roccu Multedo et Dorothy Carrington signalent l’incontestabilité de « la métamorphose d’un mazzeru en taureau blanc »[35] un autre animal psychopompe. En ce qui concerne les molphars, même s’ils peuvent s’incarner en taureau blanc ou noir, pour eux , cet animal représente, avant tout, le symbole de la virilité masculine, des forces protectrices terrestres (par leurs sabots), et aussi, les puissances créatrices de l’univers[36] (ce qui est à interpréter par l’aspect céleste et lunaire du taureau par ses cornes : et la lune à son tour symbolise la lumière et le cycle du temps sur terre, ces deux éléments primordiaux des mythes cosmogoniques[37]). Quoi qu’il en soit, la transformation molpharique est à rapprocher de ce que Miss Kinsley a baptisé « l’âme de la brousse » et ce que Eliade appelle « l’âme sous une forme animale » en parlant des sorciers africains.[38] Et nous pouvons reprendre ici la conclusion de Mme Carrington qui souligne que « les relations entre les africains et leurs âmes de la brousse se passent dans la vie réelle sur le plan ordinaire de la conscience, (nous pouvons dire la même chose des molphars carpatiques), tandis qu’en Corse elles n’existent qu’en rêve, les rêves des mazzeri ». Tout de même, il nous semble important d’y ajouter le fait que les mazzeri et les molphars, en rêve ou pas, lors de leurs transformation préfèrent des animaux qui évoquent par leur aspect physique la force guerrière, or les fonctions molphariques et mazzeriques se construisent sur cette force.
Chapitre 2
Les rôles et les actions.
Les régulateurs
« Le mazzeru serait un régulateur des mortalités d’un village, parce qu’il protège ce village comme les benandenti du Tyrol qui, il y a trois siècles, protégeaient les récoltes, les moissons et les vendanges »[39] a écrit Roccu Multedo. Les molphars, comme les benandenti, ont cette fonction de protéger les récoltes. Donc les mazzeri et les molphars jouent avant tout un rôle social de protecteurs de leur communauté. Dans certains cas, il s’agit de combattre : les mazzeri d’un village s’affrontent avec les mazzeri du village voisin, tandis que le molphar, comme régulateur du temps, influe sur les puissances célestes comme un vrai guerrier. Les noms qu’on emploie pour désigner le phénomène chamanique corse, et le phénomène chamanique ukrainien sont explicites de leurs « missions ».
En corse, vu la richesse polyphonique de cette langue, le même signifié peut avoir plusieurs signifiants qui changent selon les régions, le phénomène mazzerique n’échappe pas à cette règle. Le mot « mazzeru » qu’on utilise généralement dans les ouvrages à portée scientifique proviendrait de mazza : « massue ou maillet, outil de bois qui rappelle l’ancienne pratique consistant à assommer le moribond afin de l’aider à franchir lorsque l’âme passée, le corps tarde à s’éteindre. Ammazzà, tuer, reprend également cette idée d’assommoir. Le ou la mazzeru(a) -puisqu’il n’y a pas d’exclusivité masculine ou féminine- est le porteur de massue, celui qui a le pouvoir d’amener ou pas une âme dans l’autre Monde »[40]. Donc ce nom est indicateur de la fonction du sacrificateur du mazzeru : la massue étant une arme utilisée aux fins sacrificielles.
Tandis que, l’autre terme « lanceru » désignant « …cet initié lié à la mort nous amène vers l’idée de guerriers puisqu’il s’agit de lanceru, lancier, porteur d’une lance, armé pour défendre, le rôle d’une arme est toujours double, c’est pour cela que l’expression chasseur d’âmes (D. Carrrington) reste réductrice… » Là-dessus nous sommes en parfait accord avec Vannina Lari l’auteur de cette citation. Nous allons nous arrêter sur cette explication des appellations du mazzeru car le « lanceru » exprime le mieux l’idée du combat et de la fonction sociale des mazzeri où, devrons-nous dire ici, des « lanceri ». Ses autres noms comme nous le signale la même chercheuse corse reste : « à la même thématique –réductrice- de l’assassinat, les termes de culpadori et acciaccadori participent également à la réputation d’implacabilité de cette personne »[41].
Les molphars eux, n’ont que trois variantes « officielles» de leurs « titres professionnels ». Le premier que nous employons ici à l’exemple de Kotsoubynsky, de Paradjanov et de Gromovitsa Berdnik connote de la magie cette notion qui est quasiment absente chez les mazzeri, étant donné que la molpha est un ancien mot désignant l’objet enchanté : « N’importe quel objet peut devenir molpha, -comme l’amulette qu’un molphar a fabriquée exprès pour cela, comme, également une pièce de vaisselle qu’on utilise dans la vie de tous les jours, ou un vêtement, même un outil pour labourer la terre ou carrément une arme. Le caractère de la molpha se détermine par rapport à la situation pour laquelle elle se destine. Sur l’objet choisi, le molphar récite des incantations ou des imprécations parce qu’une molpha peut être faite pour le bien mais aussi pour le mal. L’amulette –molpha, celle qui protège son possesseur, doit contenir un dessin approprié, comme par exemple le soleil avec le visage souriant humain… Le soleil étant le symbole païen suprême est la protection contre des mauvais esprits. Sur le côté verso doit être gravé avec les lettres codées la prière –incantation »[42].
Les deuxième et troisième variantes de leurs noms sont : gromivnék (du mot russe « grom » l’orage), et gradivnék (du mot « grad »–grêle). Ils nous renvoient directement à la fonction sociale du molphar comme celui qui peut maîtriser les orages et tout ce qui s’y rapporte.
Les combats
Dans l’ouvrage de Dorothy Carrington, Mazzeri, Finzioni Signadori, nous trouvons la description suivante du déroulement des batailles des mazzeri : « Une fois par an, la nuit du 31 juillet au 1ier août, les mazzeri de chaque village s’organisaient en une milizia, élisaient un capitaine et partaient combattre les mazzeri d’un village voisin; ou plutôt, ils rêvaient qu’ils faisaient ainsi. Ces batailles-fantômes, connues sous le nom de mandrache, avaient habituellement lieu sur un col de montagne situé entre les territoires des deux villages. Les mazzeri étaient munis de leurs armes habituelles : fusils, mazza, haches, lances, couteaux. Selon Multedo, certains mazzeri étaient armés de tibias humains, tandis que dans deux villages du versant ouest de la Corse, Soccia et Guagno, ils se servaient de tiges d’asphodèle »[43]. L’enjeu de ces combats était la mortalité annuelle du village : les gagnants perdront le moins d’âmes dans l’année. Roccu Multedo ajoute à propos des ces combats que leurs participants étaient masqués en animaux. Les remarques de Vannina Lari à propos de ces batilles nous semblent être très justes et résument au mieux leur porté sociale. La chercheuse corse insiste premièrement sur des effets dans la réalité d’un combat onirique, et ensuite elle nous ramène vers la conclusion sur le caractère ambivalent du phénomène mazzerique car l’exemple de ces batailles montre le mazzeru lié à la fois à la vie et à la mort : « indissociables moments formant le Destin. » Dans son article, nous trouvons de plus, une information intéressante sur la participation des villageois dans cet événement annuel : « on raconte qu’à leur réveil, les habitants des villages rivaux déterminaient quelle Cumpagnia (milizia) est gagnante en observant de quel côté va la fumée des feux allumés la veille, pour la bataille, afin de guider les mazzeri. Outre les feux de signal, les habitants des villages prévoyaient également des récipients remplis d’eau, car on raconte que les esprits- des morts comme des vivants- ont toujours soif. Cela rejoint le rituel d’I Morti, qui a lieu le deux Novembre »[44]. En somme cette tradition des combats mazzeriques rassemble plusieurs croyances corses portant sur le monde des morts dans lequel comme nous l’avons déjà dit le mazzeru joue un rôle intermédiaire : selon sa réputation, il n’appartient vraiment ni au monde des morts ni à celui des vivants car, comme nous le signale Roccu Multedo, dans la vie réelle c’est un être maladif donc à la frontière entre la vie et la mort, mais par contre, il est considéré comme immortel, ne pouvant quitter paradoxalement, le monde réel que lors de ces combats rêvés. Il semble appartenir à une société : cumpagnia, milizia, donc le mandrache est une « mission » de groupe et non solitaire.
Le molphar, le gromivnék, combat seul les puissances célestes ; son combat est aussi, comme celui du mazzeru, pour la vie dans son village sauf que cette fois-ci la mort se présente telle une menace concrète : celle de la faim. Si le gromivnék faillit à son devoir collectif, les orages détruiront le fruit des labeurs humains. En été, à l’approche des nuages qui apportent la pluie avec l’orage, il se place sur le dernier sillon d’un des champs de son village et lit les incantations pour détourner l’orage qui peut détruire toute l’agriculture. Dans sa bataille, il utilise le couteau de la grêle, le bâton et un rituel contre l’orage. Avec l’aide des forces supérieures et par la puissance des mots, il détourne l’orage des champs : il coupe le nuage avec son couteau occulte et il le fait partir en direction de la forêt ou de la rivière, ou encore sur les rochers, sur ces lieux non cultivés de la nature sauvage. Le plus difficile pour ce défenseur des récoltes, c’est lorsque la foudre éclate, il n’y a que les plus forts qui puissent la combattre. Dans les époques lointaines, ces guerriers de la foudre savaient l’utiliser contre les ennemis étrangers.[45] Dans le roman de Kotsioubynsky nous trouvons une peinture excellente de cette bataille livrée par un des personnages, le mophar Ioura, présenté ici comme un vrai guerrier redoutable pour son adversaire céleste : seul en face de « l’armée des nuages ». Il nous est difficile de ne pas citer entièrement un des plus beaux passages de ce livre mais vu sa longueur nous devrons nous contenter de la fin de ce combat qui illustrera le mieux la fonction du gromivnék du protecteur et du guerrier à la fois :
« Cependant Ioura ne voulait pas céder. Il devint encore plus blême, ses yeux s’assombrirent. Quand le nuage allait à droite, il le suivait, quand il allait à gauche lui aussi allait dans cette direction. Ioura courait à sa suite, en agitant les bras, en luttant avec le vent, en menaçant avec son bâton. Il se tortillait comme une anguille, il se mesurait avec le nuage, le retenait…Encore un peu, encore de ce côté. Il sentait de la force dans sa poitrine, envoyait du tonnerre par ses yeux, levait les bras au ciel en répétait ses imprécations. Le vent s’engouffrait dans son gilet de peau et le frappait à la poitrine ; le nuage grognait, claquait son tonnerre, cinglait les yeux de pluie, tremblait au-dessus de sa tête, prêt à tomber, et lui couvert de sueur, respirait à peine, il s’affairait sur la hauteur, hors de lui, craignant de perdre ses dernières forces. Il sentait que celles-ci commençaient à s’affaiblir, que sa poitrine était vide que le vent arrachait sa voix, que la pluie noyait ses yeux, que le nuage avait le dessus et alors dans un dernier effort, il leva vers le ciel son bâton court :
- Halte !
Le nuage s’arrêta soudain. Il souleva de façon inattendue un de ses bords, se cabra comme un cheval, craqua d’une colère intérieure, désespéré de son impuissance et se mit à supplier :
- Lâchez-moi ! Où dois-je aller ?
- Je ne te lâcherai pas !
- Lâche-le sinon nous périrons ! – criaient les âmes, courbées sous le poids des sacs remplis de glace.
- Ah ! Maintenant tu supplies !... Je t’adjure : disparaîs dans l’inconnu, dans les gouffres, là où ne parvient ni le hennissement des chevaux, ni le meuglement des vaches, ni le bêlement des mouton, ni le vol des corbeaux, là où l’on n’entend aucune voix chrétienne… C’est là que je te laisse partir…
Et chose incroyable, le nuage obéit et se dirigea, soumis, vers la gauche et défit ses sacs au-dessus de la rivière en déversant une grêle drue sur les rives. Un rideau blanc couvrit les montagnes et dans la profonde vallée quelque chose bouillonna, craqua et fit un bruit sourd. Ioura tomba par terre en haletant. »[46]
L’évocation des âmes dans cet extrait littéraire n’est pas faite par hasard. Selon les croyances goutsouliennes, les nuages qui apportent les orages destructeurs sont peuplés des âmes noires des morts néfastes et le molphar, seul, sait les combattre.[47]
Cette personnification de la nature n’a rien d’étonnant, la majorité des mythes sont construits sur la base de l’imaginaire anthropologique[48]. Mais pour notre comparaison, ces âmes représentent l’équivalent des esprits des mazzeri qui s’affrontent. Surtout que les mandraghe – c’est également l’occasion pour les mazzeri vivants de lutter contre les mazzeri morts. Roccu Multedo dit que : « cette pratique est attestée notamment è Bilzese, Cognocoli et dans le Cruzzini. »[49] D’autre part les mazzeri ne se battent pas à n’importe quel moment de l’année tout comme le molphar ne peut se mesurer avec ces âmes noires que dans une période bien déterminée dans son calendrier.
Le temps de combattre.
La notion du temps est primordiale et pour les combats mazzeriques et pour ceux du molphar avec les nuages.
Les mazzeri se battent la nuit du 31 juillet au 1ier août.[50] Selon les croyances carpatiques[51] les orages sont « affrontables » que durant la période qui suit la nuit après le St Jean- Baptiste (le 7 juillet) jusqu’au le jour du St Ilia (le 2 août). La dernière date comme par hasard est très proche de la date du combat mazzeriques.
Selon le calendrier catholique, le 1ier août, c’est la Saint Pierre (le 12 juillet chez les orthodoxes). Roccu Multedo évoque les célébrations antérieures au christianisme qui avaient lieu à cette date comme la fêtes des Macchabées : « du nom de sept frères martyrisés en 168 avant J. C. pour leur fidélité à la loi de Moïse et « la fête celtique de Lugnasad, l’un des quatre grands sabbats annuels avec le 1er mai, le 1er novembre et le 1er février »[52] Et bien sûr l’Eglise a récupéré les fêtes profanes, les fêtes païennes les transformant en siennes. C’est ainsi que le jour de sabbat devient « officiellement » le jour de tous les saints suivi de la commémoration des morts.
Ce parallèle que Roccu Multedo fait entre les dates, lui permet de comparer les combats mazzerique avec la bataille du 1er mai, en l’île de Bretagne : « Elle mettait aux prises un dragon rouge, champion de la cause bretonne, et un dragon , «de race étrangère, qui représente les Saxons ». Sa couleur était blanche. Et, comme celle des mazzeri, la bataille commençait par « un cri effrayant »[53] . Le fait que les mazzeri se battent en masques représentant des animaux et l’étymologie du mot « mandraca » qui veut peut–être signifier selon le chercheur corse : «par intermédiaire des dragons » ( bataille per man’(mano) draca) » [54], alimentent cette hypothèse comparative. Il est intéressant qu’en russe et en ukrainien aussi, le mot dragon se prononce dracon et le mot « draca » (n.f.) signifie tout simplement une bataille, ou plus précisément une bagarre[55] mais comme cette dernière n’a rien d’organisée, étant avant tout une affaire de rue, nous ne pouvons pas appeler ainsi ni les mandraghe ni les combats molphariques avec « les puissances célestes » qui représentent plutôt tout un événement, un rituel dont les conséquences sont attendues et redoutées par toute la communauté même si cela ne se passe que dans les rêves en ce qui concerne la variante corse
Roccu Multedo compare également les « mandraghe » corses aux luttes entre les chamans du Caucase sous forme animale en établissant de cette manière une relation entre chamanisme et mazzerisme [56]. L’utilisation de ce terme est critiquée par Vannina Lari. Selon ses arguments : « le mot mazzerisme tendrait à faire croire qu’il s’agit d’une religion à part entière, mais la croyance en cet intermédiaire que l’on appelle mazzeru n’est qu’une facette, une fraction d’un système de croyances qui met en place une organisation spatio-temporelle appelant d’autres acteurs, humains, animaliers ou divin. »[57] Nous n’allons pas participer à ce débat scientifique, ne faisant que signaler ici, le caractère discutable de ce néologisme corso-français).
Toutes ces comparaisons nous montrent l’importance de la thématique animalière pour les « mandraghe » et pour les mazzeri en général indiquant de même leur lien incontestable avec le totémisme. L’importance de dates relève aussi du caractère sacré des combats mazzeriques et des combats molphariques. Quant au déroulement de ces derniers il serait plus juste de parler d’une période que d’une date qui est aussi en lien avec un animal en l’occurrence avec un oiseau qui est aussi un animal psychopompe.
Voilà comment la chercheuse ukrainienne Gromovitsa Berdnik nous le décrit : « après la nuit de St Jean–Baptiste, commence la période qu’on appelle en Ukraine « Les nuits des moineaux »[58] pendent lesquelles il advient souvent que les orages violents éclatent au-dessus des montagnes, accompagnés par des foudres brûlantes. Ce sont les jours où les esprits des orages sortent pour leur promenade annuelle. Ce sont eux qui envoient sur terre la foudre comme des décharges vivifiantes qui apportent sur Terre une énergie bien particulière. Et c’est à ce moment qu’entre le ciel assombri par les nuages et les sommets des montagnes s’élèvent les arbres de feu unifiant ainsi la terre et le ciel. Cela va durer jusqu’ au jour de St Illia (le 20 juillet ou le 2 août), jusqu’à cette ancienne fête des Orages et des Tonnerres. Après cette date les orages « se calment et battent en retraite ». En cette période les molphars accomplissent les rituel spéciaux pour protéger les champs de la grêle et les maisons contre les incendies qui peuvent être déclenchés par un coup de foudre »[59]
Le début de cette période s’ouvre par la fête de Jean Baptiste[60] qui est « la fête la plus importante pour les chamans », affirme Mékhailo Néchaiy. Il explique que : « c’est la naissance du monde pour l’année prochaine. Pendant cette fête, nous exerçons des rites bien spéciaux pour tous ceux qui sont avec la nature pour qu’ils se confirment, pour qu’ils se solidifient en elle et pour leur procurer de la force. Alors notre mot devient puissant »[61]
En ce qui concerne St Illia, dans les nombreux pays orthodoxes surtout en Bulgarie et en Ukraine, il est considéré comme le seigneur du feu céleste ce qui le lie incontestablement avec ces guerriers de la foudre que sont les gromivnék. St Illia a remplacé le dieu païen de la mythologie slave, le dieu des orages et des tonnerres Peroun, l’équivalent de Tor et de Zeus. Selon la légende, quand les anges corrompus par le Diable se sont révoltés contre le Dieu, le Seigneur a commandé à St Illia de les chasser du ciel et depuis St Illia court dans le ciel, après ces traîtres en leurs tirant dessus avec l’orage et la foudre[62]. Cette légende est très proche de la variante goutsoulienne car l’expression «les âmes noires » peut être interprétée tout simplement comme une métaphore désignant ces anges corrompus par le Diable, ou encore, la légende conservée chez les goutsouls est le prototype préchrétien de la légende ukrainienne sur St. Illia. Mais revenons aux molphars, toujours du même auteur ukrainien, Gromovitsa Berdnik, nous apprenons que le 2 août, pour eux, est un jour sacré. Et non pas simplement parce c’est la fin de leur « guerre » avec le ciel orageux jusqu’à l’année prochaine, mais aussi parce que les molphars d’antan pouvaient être considérés comme les flamines carpatiques du Péroun. De plus, le Seigneur du feu céleste (Péroun ou St Illia) est protecteur des guerriers et des forgerons. Parmi les molphars il y avait ceux qui fabriquaient les armes et ceux qui se spécialisaient uniquement sur la bijouterie et les amulettes, travaillant avec du métal précieux. Les amulettes en métal ou les molpha, ne pouvaient être faites que pendant ces « nuits de moineaux » pour être efficaces. Les hommes goutsouls portaient en qualité de molpha l’anneau couronné d’une tête représentant l’esprit du mal, on croyait que c’était la meilleure protection contre les forces noires. On pratiquait aussi les molpha pour les chevaux, animaux vénérés par les goutsouls. En leur mettant les attelles sorties de l’atelier d’un molphar - forgeron on les protégeait contre le mauvais œil des sorcières. En ce qui concerne la fabrication des armes, leur persistance et leur efficacité s’assuraient aussi en cette période par les molphars qui en était les spécialistes. Mais leurs propres armes pour combattre « les âmes noires » sont un sujet à part, tout comme les armes utilisées par les mazzeri, c’est un sujet qui révèle de l’ambivalence de deux phénomènes.
Chapitre3.
De nuire à guérir
Les armes sacrées.
Une des armes les plus sacrées les plus « magiques » des mazzeri est bien sûr l’asphodèle. Ces bâtons sont utilisés lors de leur combat annuel. Dans l’article de Vannina Lari, nous lisons: «l’asphodèle posée en croix sur les récoltes assure leur protection contre les esprits farceurs ou malfaisants ». Ce qui peut aussi représenter le point de rapprochement entre le mazzeru « régulateur de la mortalité » et le protecteur de la vie et le molphar régulateur du temps, protecteur des récoltes et donc de la vie. Roccu Multedo nous dit à son tour que « l’asphodèle jaune est encore un bâton, celui de Jacob, surnommé Israël, c’est-à-dire «le fort contre Dieu». A-t-il employé l’asphodèle dans sa rébellion contre l’Ange? c’est ce que rappelle peut-être l’arme des mazzeri , dont Madame Lucia Desideri fait remarquer que les feuilles sont lancéolées ; cela en renforce le symbole, par rapport aux lanceri : si la tige est frêle, la feuille a, ainsi, la force potentielle de la lance ». Par ailleurs, cet auteur corse, note que : « les tubercules d’asphodèle contiennent un alcool très pur : dans le Sud, les enfants les font éclater, la nuit de la Saint Jean (justement l’ouverture de période des combats molphariques), qui dans le Frioul, voit comme à chacun des Quatre Temps, une bataille des Benandanti ; ceux-ci, pour chasser les sorciers, sont armés de tiges de fenouil ou de viorne-tin. »[63] Cette remarque est très importante pour nous car elle prouve que la symbolique des combats sacrés ne se limite pas aux animaux, le monde végétal y participe aussi.
C’est ainsi que le molphar emploie une branche d’arbre comme arme contre les sorcières, il s’agit de gromovitsa. C’est un objet qui incarne le pouvoir du molphar : une branche tombée du sapin lors d’un orage où la foudre a fait un trou, et c’est justement cette ouverture faite d’une manière naturelle qui est dotée de vertus magiques[64]. Si le molphar souffle à travers de ce trou sur la sorcière ses pouvoirs s’envolent.[65] De la même manière on peut aussi guérir les maladies.
Bien évidement l’asphodèle et la gromovitsa sont plutôt les armes-symboles mêmes de la magie. Cependant ni les mazzeri ni les molphars n’utilisent les « vraies » armes d’attaque ou de défense qui ont aussi leurs propres portées symboliques. Ce sont les bâtons ou les massues, les couteaux et les lances.
Là-dessus Roccu Multedo nous informe que « Pour Florange, les mazzeri sont armés d’une hache invisible dont un anonyme du début du siècle fait une massue. Les mazzere se servent, en général d’un bâton fait d’un cep de vigne, u putizzu. Ce bâton rappelle celui des Bacchantes, le thyrse orné d’une pomme de pin, avec lequel elles tuaient leurs victimes, comme elles déguisée en oiseau ou en chien. »[66]
Dans son affrontement contre le feu du ciel le molphar utilise un bâton: une branche d’arbre avec la quelle il a séparé auparavant le serpent et la grenouille. Deux animaux que les molphar, avec la tortue, vénère énormément. Ici le symbole végétal et le symbole animal ne font qu’un. La grenouille représentant le monde souterrain des esprits et des ancêtres morts, et aussi la pluie que ces ancêtres offrent à la terre. Cet animal est aussi, d’un côté, le symbole de la sagesse cachée et, de l’autre, le totem des sorcières, ce qui démontre encore une fois l’ambivalence de la symbolique païenne. Alors le bâton qui a servi pour la délivrer du serpent est utilisé aussi pour arrêter les querelles entre les gens. C’est une arme d’attaque et de défense à la fois.
Quant à l’utilisation par les molphars de la hache, comme dans toutes les traditions chamaniques, c’est une arme sacrificielle. Mais les molphars étaient plutôt ceux qui fabriquaient les longues haches spéciales pour les combattants populaires ukrainiens, pour les bandits d’honneur. Ce qui comptait le plus pour l’efficacité d’une telle arme destinée à la défense d’une cause nationale c’était le dessin sur sa manche « d’une roue d’orage ». A l’intérieur de cette roue étaient représentées les six (parfois huit ou au maximum douze) aiguilles ou feuilles lancéolées (ce qui n’est pas sans évoquer l’asphodèle mazzerique). Cette «marque» de fabrication molpharique n’était pas exclusivement réservée aux haches de combat. En Goutsoulchina, on peut les trouver sur les toits des maisons et sur les ceintures des hommes étant le symbole masculin. Une telle roue protégeait l’habitat contre la foudre qui, en frappant, aurait pu le brûler ainsi que le propriétaire de la ceinture ou de la hache : elle protégeait de la malemort. En France, en Allemagne, en Russie le même symbole figurait sur les murs des maisons pour les protéger contre la foudre.[67]
Les mazzere de Chera, opèrent avec un couteau[68], peut-on en conclure que c’est une arme exclusivement féminine ? Certainement pas. Mais vu sa petite taille et son aspect tranchant, il a du être considéré comme facile pour l’usage féminin.
Le couteau de grêle de molphar est son arme essentielle dans son combat contre les âmes noires qui peuplent les nuages «armés» de la grêle pour détruire les récoltes. Sans cette arme, le molphar n’est pas gromivnék. C’est pour cette raison que le rituel initiatique, dans cet art consiste, avant tout dans la fabrication de ce couteau. .
Le novice doit sortir tout nu dehors, avant l’aube, à la veille du Noël pour fabriquer ce couteau bien spécial à partir du côté tranchant de la faucille. Il ne s’agit pas non plus de prendre n’importe quelle faucille, mais celle qui a été cassée le jour des premiers travaux agricoles printaniers, ou celle avec laquelle on a coupé un serpent, sans le faire exprès. Lorsque la recrue prépare son couteau, il faut que le silence total règne dehors, surtout il ne faut pas qu’elle entende une voix humaine. Une fois le couteau prêt, le futur molphar s’agenouille et prononce 300 fois une prière spéciale, chaque incantation devant se faire sans qu’il reprenne son souffle, d’un seul trait.
Ensuite, celui qui a décidé de devenir « gromivnék » ne doit pas parler de toute la journée, (comme s’il devait commencer de sentir tout le poids des mots d’un molphar, car ses mots ne sont jamais vides, ils sont chargés de sens, ils sont ses armes qu’il utilise dans ses rituels magiques ou pour guérir les gens), et le soir quand toute sa famille est réunie autour de la table pour le repas de Noël, le futur « gromivnék » commence par goûter, petit à petit, des plats festifs différents. Puis il prend dans sa main son couteau occulte et fait avec lui un tour de la maison suivant le mouvement du soleil. A la fin, il se place sur le seuil de la maison (là où autrefois, on enterrait des ancêtres morts), le visage tourné dans la direction du lever de soleil et invite le roi-grêle à partager son repas de Noël[69].
En hiver, les goutsouls ne craignent ni l’orage, ni la grêle, c’est, pense-t-on, la période de paix des âmes noires. Donc le gromivnék doit en profiter pour assurer sa défense et même sa victoire dans son futur combat en concluant une sorte de pacte avec son adversaire endormi, et en se procurant son arme tranchante.
La lance est l’arme des lanceri du Sartinesu. Et en dehors de son aspect guerrier que nous avons déjà évoqué, c’est l’arme obligée de tout chaman.[70] Chez certains parmi eux elle fait carrément partie de leurs costumes comme par exemple chez les Bouriates, « un casque, portant à sa partie inférieure un morceau de fer en forme de lance ; deux bâtons en avant desquels sont fixés, entre autre, une lance une épée, une hache… un fouet, avec (en miniature) : une épée, une massue à pointe (Eliade, p.132) »[71]. Et cela même si le molphar préfère le couteau à la lance. La symbolique de cette arme est universelle, elle est, comme nous le dit Roccu Multedo « l’Arbre du monde », c’est-à-dire l’axe du monde, le chemin du ciel ».[72]
Et avant de refermer cette liste que nous avons essayer d’établir ici pour ce rapprochement entre les armes qu’utilisent les mazzeri et celles des molphars, il est important d’insister sur un point de différence majeur qui existe entre elles : c’est le fait que les molphars, pour le combats ou pas, se servent de leurs couteaux ou de leurs bâtons en réalité dans le monde de vivants et non pas lors de leurs transes tandis que les mazzeri en tant que tels n’en font usage que dans leurs rêves.
L’autre chose que nous devons remarquer à propos des molphars, c’est leur lien spirituel avec la foudre et l’orage, lien qui se manifeste à travers tous les domaines dans lesquels ils exercent. Quant aux mazzeri à part que selon Max Caisson: «La vocation mazzerique est obtenue par suite de foudroiement, qui ferait de la personne frappée par la foudre, un Signatu da Cristu »[73], ils sont avant tout un écho de la tradition des chasseurs prénéolithiques qui sont devenus dans l’imaginaire populaire corse les régulateurs de la mortalité. Pourtant, il existe des hypothèses selon lesquelles autrefois le champ d’action du mazzeru était plus vaste que nous ne le croyons être aujourd’hui. Justement vu que les orages en corse ne sont pas moins violent qu’aux Carpates et que l’on craint la foudre sur cette île tout autant qu’ailleurs, Dorothy Carrington admet la possibilité que les mazzeri aient été aussi les régulateurs du temps partageant cette fonction avec les signadori, les guérisseuses populaires[74] . Et guérir est aussi une des fonctions du molphar.
L’art médicinal
De nuire à guérir, c’est comme de la haine à l’amour, il n’y qu’un seul pas à franchir. Et les mazzeri et les molphars sont plutôt les phénomènes ambivalents. Aujourd’hui dans la fiction littéraire corse, le personnage du mazzeru est romancé : on parle souvent du mazzeru blanc ou noir comme s’il y avait vraiment des camps des mazzeri clairement distingués entre eux. C’est ainsi que dans le roman d’André-Jean Boneli, La mazzera, le personnage féminin principal incarne le bien et empêche le mal de se produire, elle est une mazzera salvadora. Roccu Multedo à son tour nous explique qui sont ces mazzeri salvadori de la manière suivante : « D’aucuns (en parlant des mazzeri) sont des guérisseurs d’âmes, qui, connaissent les chemins du ciel et de l’enfer, essayent à la manière des sorciers africains, de ramener l’âme égarée dans le corps malade. Les mazzeri salvadori empêchent cette âme de franchir le gué ou le pont ou encore a paranu d’entre in ghjesa (l’empêche d’entrer à l’église) ou de toucher la porte du cimetière : ce sont là des frontières entre les deux mondes »[75]. Visiblement nous nous retrouvons en contradiction avec la définition de Ghjasippina Thury-Bouvet que nous avons présentée au sujet du double, selon laquelle le devoir de mazzeru c’est d’aider l’âme à franchir les Limites. Apparemment, il y en a qui font exactement le contraire. Mais peut-on réellement parler de mazzeri blancs ou noirs tout en sachant que ni l’un ni l’autre n’agit de son plein gré, et que c’est le destin qui guide leurs mains ? Même la petite mazzera d’André-Jean Boneli ne choisit ni son sort et ni son “camp”, c’est pendant son rêve initiatique que tout s’est déterminé avec l’aide de la providence. La glose de Roccu Multedo nous propose la solution à ce problème : « Nous appelons « blancs » les mazzeri sauveurs. Il est d’autres mazzeri qui finissent par prendre goût à la « chasse et par sortir, la nuit, comme des somnambules, afin de rester à l’affût de ce qui peut se passer dans leur cunfina. Selon l’excellente expression du culpadore de Figari, ils sortent in vita (en chair et en os). Nous les appelons mazzeri noirs, alors, que les blancs-noirs pourront, du fait qu’ils sont ambivalents, être pris dans l’une ou l’autre catégorie. »[76]
Les molphars quant à eux sont des mages dans le sens direct de ce mot. Ce qui veut dire qu’un molphar sait comment il peut influer sur la nature et peut aussi utiliser ces puissances naturelles pour le bien ou pour le mal. Tout molphar connaît la magie blanche et la magie noire. « La différence entre le molphar blanc et noir est dans l’objectif de ses rituels »[77] Mais dans ce cas la distinction entre un molphar blanc et noir n’est pas si nette, non plus. Dans le livre de Gromovitsa Berdnik, Mékhailo Néchaiy, la source principale des ses recherches dit que : « La magie noire est offerte par les forces maléfiques… Et les mages qui ont ce pouvoir, ne peuvent agir que pour faire du mal à tous les vivants : aux humains aux animaux. Ils collaborent avec l’esprit du mal à l’affront des lois divine contre le Dieu lui-même »[78]. Mais dans l’interview qu’il à donnée le 21 mars 2007 dans le journal local «Vie !» cet ultime représentant vivant du molpharisme affirme que : « Dans le monde coexistent les forces (divines) blanches avec les forces (diaboliques) noires comme le moins et le plus. Entre elles c’est la lutte permanente. Les forces claires calment l’agressivité des forces sombres. Notre vie sur la Terre est le résultat de cette lutte : sans moins le plus n’agit pas, et vive-versa. Voilà pourquoi, il ne faut pas avoir peur du Diable, mais il ne faut pas le tenter non plus ». Ce qui est intéressant aussi c’est qu’il perçoit son don comme un poids lourd qu’il doit porter toute sa vie, un mazzeru peut dire la même chose. Même si la responsabilité de ses actes est moindre que celui du molphar si on peut vraiment parler de la responsabilité en ce qui concerne des mazzeri. Tout de même un molphar et un mazzeru basculent tout le temps entre ce qu’on appelle le noir et le blanc. Et même si Mékhailo Néchaiy semble être catégorique sur le fait que celui qui choisit de servir le Mal ne peut faire du bien et inversement, lui-même avoue dans la même interview avoir fait du mal, tout en étant au service du Bien, en abusant de ses pouvoirs lors du festival national des chants « Cervona Routa » quand il a entretenu le beau temps non pour assurer la survie de la population ou pour protéger les récoltes mais pour des fins oisives, ce qui est selon lui, un péché grave. Le molphar Ioura de Kotsioubynsky est un personnage ambivalent par excellence : il affronte l’orage et la foudre en tant que protecteur de sa communauté et en même temps guidé par l’amour interdit il applique la magie noire pour nuire au mari de sa maîtresse et devient la cause indirecte de sa mort sans le moindre scrupule. D’ailleurs, selon Mékhailo Néchaiy le prototype de ce personnage de la fiction littéraire serait un vrai molphar qui aurait vécu aux Carpates au XIXième siècle, ce qui augmente la fiabilité de cet exemple. Mais ce qui nous importe, avant tout, c’est le fait que celui qui sait nuire peut guérir, peut sauver et détruire. Et guérir est aussi du domaine de la magie blanche.
Pour définitivement conclure la première partie de notre travail, pointons ses moments principaux : nous avons commencé par définir les phénomènes mazzeriques et molphariques en nous orientant sur la figure intermédiaire du chaman. Les rêves mazzeriques et les transes molphariques tout en étant, entre autre, un moyen d’extase, ne sont pas tout à fait ni de la même nature ni de la même portée. La notion de guide est présente dans les deux mais repartie différemment : le mazzeru est le guide des âmes dans le monde de la mort, le molphar a son propre guide de ce monde parallèle à celui de vivants. Quant à leurs actions, les mazzeri et les molphars agissent avant tout dans l’intérêt de leur communauté, ils y sont craints mais respectés. Les mazzeri dans ce cas sont les régulateurs de mortalité (surtout lors de leur combat annuel) et les molphars les régulateurs du temps : ils s’affrontent aux « âmes noires » des nuages apportant avec l’orage, la pluie dévastatrice et la grêle. Le mazzeru représente avant tout dans ces rêves, le monde des premiers chasseurs et tout ce qui s’y rapporte, le totémisme inclus, tandis que le molphar est, apparemment, celui qui dans des époques lointaines était le flamine de la divinité de la foudre et de l’orage.
[1] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994
[2] Gromitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[3] Mykhaïlo Kotsioubynsky, Les chevaux de feu ou les ombres des ancêtres oubliés, « L’AGE D’HOMME », Suisse, 2001
[4] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994
[5] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994, p. 73
[6] Le magasine « La roue de la Vie », à n°5, le février, 2006, « La sagesse d’un vieux molphar »
[7] Jerome Pietri et Jean-Victor Angelini Le chamanisme en Corse, Paris, 1994
[8] [8] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994, p. 74
[9] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994, p.119
[10] Gromitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[11] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994,
[12] Gromitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[13] Gromitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[14] Gromitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[15]Jerome Pietri et Jean-Victor Angelini Le chamanisme en Corse, Paris, 1994
[16] Gilbert Durant, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, « Dunod », Paris, 1992
[17]Jerome Pietri et Jean-Victor Angelini Le chamanisme en Corse, Paris, 1994
[18] Ghjasippina Thury-Bouvet, Kyrn Magazine-5 avril 1991-45
[19] Vannina Lari, Mazzeru, article publié dans « L’Encyclopaediae Corsicae » volumes 2 et 3
[20] Roccu Multedo, Le mazzerisme est- il un chamanisme corse ?, Paris, 1994, p. 54.
[21]Vannina Lari, Mazzeru, article publié dans « L’Encyclopaediae Corsicae » volumes 2 et 3
[22] Dorothy Carrington, Mazzeri, Finzioni Signadori, Gênes, mai 2000
[23] Vannina Lari, Mazzeru, article publié dans « L’Encyclopaediae Corsicae » volumes 2 et 3
[24] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994
[25] Vannina Lari, Mazzeru, article publié dans « L’Encyclopaediae Corsicae » volumes 2 et 3
[26]Dorothy Carrington, Mazzeri, Finzioni Signadori, Gênes, mai 2000, p.71
[27] Dorothy Carrington, Mazzeri, Finzioni Signadori, Gêne , mai 2000, p.71
[28] Gromovitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[29] Gromiovitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[30] Gromitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006, p. 230
[31] Le magasine « Vie », le 21 mars 2007 ; « L’interview avec le molphar Mékhailo Néchaiy »
[32] Les mythes d’Ukraine, Kiev, 2003,
[33] Gromovitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[34] Gromovitsa Berdnik
[35] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994 p. 77
[36] Gromitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[37] Gilbert Durant Les structures anthropologiques de l’imaginaire, « Dunod », Paris, 1992
[38] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994 p.
[39] Roccu Multedo, Le mazzerisme est- il un chamanisme corse ?, Paris, 1994, p. 57
[41] Vannina Lari, Mazzeru, article publié dans « L’Encyclopaediae Corsicae » volumes 2 et 3
[42] Gromitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[43]Dorothy Carrington, Mazzeri, Finzioni Signadori, Gêne , mai 2000, p.71
[44] Vannina Lari, Mazzeru, article publié dans « L’Encyclopaediae Corsicae » volumes 2 et 3
[46]Mykhaïlo Kotsioubynsky, Les chevaux de feu ou les ombres des ancêtres oubliés, « L’AGE D’HOMME », Suisse, 2001p. 76-77
[47] Gromovitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[48] Gilbert Durant Les structures anthropologiques de l’imaginaire, « Dunod », Paris, 1992
[49] Roccu Multedo, Le mazzerisme est- il un chamanisme corse ?, Paris, 1994, p. 55
[50] Dorothy Carrington, Mazzeri, Finzioni Signadori, Gêne , mai 2000, p.74
[51] Gromovitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[52] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994 p. 97
[53] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994 p. 98
[54]Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994 p. 97
[55] P. Pauliat , Dictionnaire français – russe russe – français, « Larousse », Paris, 2006
[56]Roccu Multedo, Le mazzerisme est- il un chamanisme corse ?, Paris, 1994, p. 55
[57] Vannina Lari, Mazzeru, article publié dans « L’Encyclopaediae Corsicae » volumes 2 et 3
[58] La variante originale « Gorobéni nocci » le premier mot est l’adjectif dérivé du « mot » gorobets signifiant le moineau, il est difficile d’expliquer la provenance d’une telle appellation, mais nous y voyons un lien phonétique car gorobets est proche du mot grom (l’orage).
[59] Gromovitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006, 315
[60] Le titre orthodoxe original « Ivano Koupalo », cette fête chez les slaves est un mélange exemplaire entre la tradition païenne et chrétienne.
[62] Oleksa Voropay, Les coutumes du peuple ukrainien, Kiev, 2006, p. 350
[63] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994 p. 94
[64] Le magasine « La roue de la Vie », à n°5, le février, 2006, « La sagesse d’un vieux molphar »
[65] Gromovitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[66] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994 p. 94
[67] Gromovitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[68]Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994
[69]Gromovitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006
[70]Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994
[71]Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994
[72]Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994 p. 95
[73]Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994 p.23
[74]Dorothy Carrington, Mazzeri, Finzioni Signadori, Gênes, mai 2000, p. 157
[75] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994 p.30
[76] Roccu Multedo, Le mazzerisme un chamanisme corse, Paris, 1994 , p. 31
[77] Gromovitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006, p. 41
[78] Gromovitsa Berdnik, Les signes de la magie carpatique, Kharkov, 2006, p. 41
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